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    PEACE  LINES

    MESSAGERIES

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     Victor in 1998

     

    Victor in 2000

    Newsletter n°107

    October 1st, 2018

    (to be translated)

     

    La photo en noir et blanc est pour moi la plus tragique des images humaines.

    Vieux, un habitant parmi d’autres de ce petit village de cases en terre cuite du Sahel, avait pour tout mobilier une petite caisse en bois brut qui lui servait de siège, pour tout éclairage un bout de bougie au fond d’une demi-bouteille. Pour trouver de l’eau (non potable) il fallait se rendre au puits commun du village à 200 mètres. On est au seuil d’an 2000. A quelques kilomètres au Sud-Ouest, sur la Petite Côte, un vaste complexe balnéaire, Saly Portugal, loue ses chambres avec piscine aux touristes européens qui viennent y séjourner. Ils n’ont aucune idée de la misère à leurs portes. Autour d’eux le gazon est vert, et arrosé par des employés en tenue, qui touchent un euro et demi par jour de travail. Un euro et demi : à ce moment-là, le prix d’une canette de Schweppes Tonic pour les étrangers.

    Au Sénégal, puisque c’est dans ce pays qu’est situé Saly, avec ses 4.000 habitants, un tiers de la population rurale est sans eau courante, et plus de 70% sans électricité. Un peu plus de 60% de la population a moins de 25 ans. Leur taux de chômage était de 48% en 2007, et près de la moitié de la population vivait sous la ligne de pauvreté, dans ce pays islamisé à 96%.

    La ligne de pauvreté : définie par rapport à la plus petite quantité d’argent qui permet de survivre. Le revenu moyen par personne au Sénégal est inférieur à 200€ par mois. Pour comparaison, en France il est estimé à 3.140€ en 2017.

    Vieux n’était donc pas une exception, lorsque nous nous sommes rencontrés en 1997. Les Messageries de la Paix ont alors décidé d’ouvrir un chantier pour sa famille. Qu’il accède, lui et les siens, à des conditions de vie décentes, et même plaisantes. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Le hasard d’une rencontre, au bord de l’océan. Le hasard-qui-fait-bien-les-choses.

      Nous avons acquis une superficie de terre – cette terre aride où rien ne pousse hormis les ronces rampantes (le kham-kham) et de rares baobabs de loin en loin. Cet hectare, ils l’ont nommé le Champ de l’Amitié et de la Fraternité. Nous y avons fait creuser un puits par un puisatier, doté d’une « pompe indonésienne » (mécanique) fabriquée sur place. L’eau du puits a permis d’irriguer le champ, et d’y mettre en place des cultures vivrières, de planter des arbres fruitiers.

     

    Pour transporter le produit de ces récoltes sur la côte, et le proposer dans les hôtels, une charrette neuve a été fabriquée, sur pneus, à Saly, et deux chevaux ont été achetés, dans un lointain marché au bétail. Dans le « carré » même de Vieux (un carré est l’espace occupé par une famille, composé de deux, trois cases) le puisatier a creusé un second puits, pour qu’ils aient l’eau chez eux. Après analyse à l’Institut Pasteur de Dakar, toutefois, on a constaté que cette eau n’était pas potable, pas plus dans le champ que pour la case – avec un taux de bactéries élevé, de coliformes et de streptocoques. Elle pouvait servir à la lessive, à un minimum d’hygiène (bouillie), à l’arrosage de ce qui mature loin du sol.

    Ce n’était pas le paradis, mais cela commençait à ressembler à un début de promesse tenue.
     

    Du Sahel au conflit israélo-palestinien

    Le temps a passé. Il n’y avait toujours ni électricité, ni bien sûr téléphone. En octobre 2000, des troubles ont éclaté à Jérusalem, sur l’Esplanade des Mosquées (le Mont du Temple). Un soulèvement violent a balayé toute la Palestine durant des années. Les attentats-suicides se multipliaient dans les villes d’Israël. Nous nous sommes détournés du Sahel, pour faire face à ce feu qui emportait la « Terre Sainte ».

    En 2003, les Américains ont envahi l’Irak, avec les conséquences que l’on sait, jusqu’à maintenant. Trois ans après, les choses se sont encore durcies entre Israéliens et Palestiniens, et les 2 millions d’habitants de la Bande de Gaza, entre le Sud-Ouest d’Israël et le Nord-Est du Sinaï en Egypte, se sont retrouvés enfermés, coïncés sur place par un double blocus israélo-égyptien. Dans la Bande de Gaza, ils vivent avec 3 à 4 heures d’électricité par jour, et 97% de l’eau aux robinets est non-potable. Par faute d’usine de traitement des eaux, tous les déchets humains et eaux sales sont rejetés dans la Mer. Les côtes sont devenues contaminées jusqu’en Israël, ainsi que la nappe phréatique. La pire pollution ne connaît pas de frontières !

    Les gens de Gaza vivent derrière des grillages, et de hauts murs, empêchés de s’éloigner de leur bande côtière par des vedettes, patrouilleurs armés de mitrailleuses. Depuis six mois, ils se portent par milliers contre les grillages qui les contiennent. Lorsqu’ils s’approchent trop près, ils sont abattus. On compte près de 200 tués et plus de 5.000 blessés. Comme il s’agit d’hémorragies régulières et non « massives » les media n’en rendent pas compte.

    En outre, le gouvernement palestinien participe activement au blocus des habitants de Gaza, dans l’espoir de faire tomber ses rivaux politiques qui ont pris le pouvoir dans la Bande de Gaza (« Hamas »). L’Union Européenne elle-même, qui finance une mission d’assistance frontalière avec l’Egypte d’une soixantaine d’inspecteurs, participe à ce blocus, puisqu’elle paie ces inspecteurs à ne rien faire depuis 2007, les ayant retirés de leur poste à la frontière de Rafah, où ils supervisaient le passage de 1.500 personnes par jour.

    Retour en Afrique

    Depuis l’an 2000, Messagers de Paix, nous sommes lourdement impliqués en Israël/Palestine, où nous avons diffusé les codes de la non-violence pratique (avec notamment l’impression de notre « petit livre rouge » des principes-clefs de Martin Luther King.

    En avril 2018, nous avons été impressionnés de voir les portraits de Gandhi, Martin Luther King, et Mandela, repris par les dirigeants de Gaza sur la place publique. La non-violence absolue, toutefois, est un langage complet, complexe, qui a ses codes, sa « grammaire ». Il ne s’improvise pas. A nous de le répandre, dans toute la mesure de nos moyens.

    Jusqu’à ce que cessent les violences suicidaires, les provocations.

    C’est le travail de toute une vie, comme de transformer une parcelle de désert en cultures vivrières. Gaza – Sahel : aux deux pôles, une extrême misère empêche les êtres humains de se développer normalement, de goûter la vie qui coule en leurs veines. Les remèdes existent pourtant. Simples, et non coûteux. Comme ces lampes solaires montées en France, transportées à Saly Joseph en 2001, pour prendre le relais des bougies d’antan.  

    Comme Gaza peut être comparée à un Quartier de Haute Sécurité (pour deux millions d’otages des circonstances), on peut dire du Sahel que c’est un camp de concentration à ciel ouvert. On y trouve de tout : dysenterie, scorpions, serpents mambas noirs, mambas verts dans les arbres, cobras cracheurs, raies électriques dans l’océan, enfants sous-alimentés, plus de 50% d’analphabétisme chez les femmes… Mais on y trouve aussi l’énergie du désespoir et de l’espoir maintenu envers et contre tout.

    Il fallait une force d’âme extraordinaire pour y survivre, et continuer à se reproduire. Les Africains l’ont, avec 4,5 enfants par femme au Sénégal (contre 2 en France ; 1,5 en Allemagne ; moins de 1,4 en Italie ; 1,3 en Espagne ; 1,2 au Portugal). Littéralement, ces pays riches meurent chaque jour de mort lente, peuplés d’un nombre croissant de vieillards isolés, relégués, là où l’Afrique déborde de vie, de vitalité.

    En France, et ailleurs en Europe, les supermarchés, les centres commerciaux sont bondés de marchandises, d’acheteurs. C’est la Corne d’abondance, c’est « Byzance », mais cette abondance n’est qu’une abondance de biens périssables, qui ne laissent aucune trace dans les consciences. Il suffit de se rendre dans une de ces structures un dimanche matin :

    Dans les plus petits de ces entrepôts (200 mètres carrés : 40 mètres sur 50 pour une bourgade de 2.000 habitants), tu trouves de tout, stocké sur des étagères sans fin : des ananas du Costa Rica, bananes de Colombie, mangues d’Israël, du gingembre de Chine, des avocats du Pérou, des kiwis de Nouvelle-Zélande, des pastèques d’Espagne, des pomelos d’Afrique du Sud, du chocolat suisse, du café du Brésil, et pourtant, regarde la tête des gens : ils ne sont pas heureux ! Tu les trouves repliés sur eux-mêmes, sombres, agités, anxieux, lourds.

    Le portrait-robot des Français, en 2018 : ils sont aigris, désagréables, indifférents, toujours en train de se plaindre, ne s’intéressent à rien d’autre que leurs revenus, revendications.

    Pas tous comme ça, mais l’écrasante majorité. Alors, avec quelques-uns de ceux qui n’ont pas glissé dans ce nihilisme ordinaire, nous avons décidé de retourner en Afrique, pour y reprendre les outils, et contribuer à la transformation du réel, sans prétextes ni alibis.

    Les gens de Saly ne sont pas différents de ceux de M’bour ou de Joal. Il s’y trouve la même proportion d’illettrés qu’ailleurs. Aussi notre projet est-il non seulement de développer des cultures vivrières, pour que les corps en profitent, mais de créer une petite bibliothèque, pour que les adultes comme les enfants, les adolescents, puissent s’y détendre, et ouvrir des pistes qui les conduisent à enrichir leur imaginaire, leur compréhension du monde en général.

    L’absence d’électricté peut avoir ses avantages : ni ordinateurs, ni télévisions pour nous accaparer, nous voler notre temps, et nous bourrer le crâne d’inepties, de désinformations.

    A Saly-Joseph, ensemble, Musulmans et Chrétiens, nous pouvons faire revivre une oasis d’espoir et de coexistence intelligente, aux portes du grand désert du Sahel.

    Et cet espoir, ce sont nos actes, solidaires, responsables, qui vont l’alimenter.

    Ce que nous faisons, nous le faisons par conviction, pour que la Vie ait tout son sens, et que les vrais sourires se multiplient sur nos chemins.

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