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Par Peace Lines le 21 Juin 2024 à 18:42
21 juin 2024. Guerre et Paix.
Des ami(e)s nous demandent, en somme, pourquoi autant garder le cap sur les affaires de guerre, particulièrement "si loin", à trois mille kilomètres à vol d'oiseau du Rhin.
La première réponse qui vient à l'esprit est de définir l'état de guerre comme la face émergée de l'iceberg.
On fait la guerre, on fait les guerres, les guerriers, avec des hommes, et des femmes, ordinaires, comme il y en a partout, à toutes les latitudes, et dans tous les pays.
Je veux dire qu'il y a deux attitudes très distinctes : celle de Jaurès en 1914, de Giono en 1939, de Louis Lecoin pendant la première guerre d'Algérie - qui s'est mis en grève de la faim illimitée le 1er juin 1962 pour arracher au pouvoir le statut d'objecteur de conscience.Le statut sera finalement obtenu le 23 décembre 1963; hospitalisé de force le 15 juin, 28 objecteurs emprisonnés étaient libérés le soir même; Louis Lecoin arrêta sa grève de la faim après 34 jours, sur une promesse du Premier Ministre de l'époque de faire passer le projet de loi pour la reconnaissance de l'objection de conscience devant le parlement.
L'autre attitude est de considérer l'état de guerre comme inhérent à la "nature humaine", à la sienne propre, et à la société dont on fait partie, dans laquelle on se reconnaît, dans laquelle on estime avoir trouvé sa place.
C'est ce que l'on peut considérer comme la face immergée de l'iceberg mortel. Sachant que 92% du volume d'un iceberg se situe sous la surface de l'eau. Mettons, alors, que plus de 90% des individus pactisent avec l'état de guerre, la portent en eux, complaisamment, en connivence profonde, refoulée mais présente dans tout le comportement, à travers tous les choix essentiels d'une vie.
Il y eut, en France, Louis Lecoin, né en 1888, année bénie, dans le Cher, mort aux Pavillons-sous-Bois en 1971.
Après Gandhi, assassiné en 1948, et Martin Luther King, assassiné en 1968.
On se souvient que le service militaire obligatoire pour les hommes fut aboli en France en 1996, décision qui prit effet en 1997. C'est-à-dire que jusqu'en 1962, quiconque exprimait ses réserves, son opposition à porter un uniforme et être formé au maniement d'armes, dans la perspective de tuer des inconnus sur ordre, était aussitôt emprisonné (comme le fut Jean Giono en 1939 et en 1944).
De 1964 à 1997, ceux qui se réclamaient d'une objection de leur conscience bénéficiaient du statut d'objecteur, qui les exposait toutefois à deux ans de service public pacifique (en mer, dans les forêts, en montagne...) en lieu et place d'un service armé d'un an en casernes.
Conscience ici s'oppose à inconscience, et ne relève pas de la morale.
Il s'agit de vivre en pleine conscience, selon la formule du bouddhiste Thich Nhat Hanh.
Qui est (était) Thich Nhat Hanh, et quel rapport ?
Né en 1926 à Hué, la capitale impériale, historique, du Viet-Nam, il a choisi de vivre le plus clair de sa vie en France - au Village des Pruniers, en Dordogne - de 1967 à 2018, date de son retour au Viet-Nam où il s'est éteint, à Hué, le 22/1/22.
Après un premier séjour d'études aux Etats-Unis à 24 ans, il est revenu au Viet-Nam, où il a travaillé dans un collectif humanitaire à la construction d'écoles, de cliniques, à la reconstruction de maisons dévastées par la guerre. Il écrit une lettre à Martin Luther King en 1965, puis publie une proposition en cinq points, le 1er juin 1966, pour mettre fin à la guerre américaine au Viet-Nam (qui a fait, pour rappel, deux millions de morts chez les Vietnamiens, contre 58.000 pour les Américains) :
1 Les Américains doivent aider les Vietnamiens à mettre en place un gouvernement d'unité qui corresponde à leur sensibilité propre, à leurs aspirations nationales.
2 Ils doivent cesser tous bombardements, toutes frappes aériennes.
3 Les opérations militaires contre le Viet-Cong doivent se limiter à des opérations défensives.
4 Ils doivent programmer un retrait définitif du Viet-Nam en quelques mois.
5 Ils doivent contribuer à la reconstruction de tout ce qu'ils ont détruit au Viet-Nam.
Il pousse Martin Luther King à dénoncer clairement cette guerre qui sévissait depuis 1959, lorsque les Etats-Unis construisirent une soixantaine de bases militaires aériennes et navales. Dès 1960, ils organisèrent plus de deux mille opérations de "ratissage".
Le 4 avril 1967, Martin Luther King prend la parole à l'église de Riverside, à New York, "parce que ma conscience ne me laisse pas d'autre choix".
"Beyond Vietnam" : Au-delà du Viet-Nam.
Un an après jour pour jour, le 4 avril 1968, il était assassiné à Memphis.
La guerre américaine au Viet-Nam allait durer encore sept ans, jusqu'au 30 avril 1975.
Martin Luther King, Prix Nobel de la Paix en 1964, proposa Thich Nhat Hanh pour le Nobel en 1967, déclarant : "Je ne connais personnellement personne qui mérite davantage le Prix Nobel de la Paix que ce gentil moine du Viet-Nam. Ses idées pour la paix, si elles étaient appliquées; construiraient un véritable monument à l'oecuménisme, à la fraternité mondiale, à l'humanité."
En janvier 2022, le Dalaï Lama le salua en ces termes :
"Dans son opposition pacifique à la guerre du Vietnam, son soutien à Martin Luther King et surtout son dévouement à partager avec les autres non seulement comment la pleine conscience et la compassion contribuent à la paix intérieure, mais aussi comment les individus cultivant la paix de l'esprit contribuent à une véritable paix mondiale, le Vénérable a vécu une vie vraiment significative. Je suis convaincu que la meilleure façon de lui rendre hommage est de poursuivre son travail pour promouvoir la paix dans le monde."
Où les différents flux de conscience se rejoignent, de Jaurès, Giono, Lecoin à Thich Nhat Hanh et Martin Luther King, dans ce constat d'un noyau central de l'âme humaine, qui affirme en pleine lucidité :
"La paix n'est pas l'absence de la guerre, c'est une vertu, un état d'esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice."
Cette fois, il s'agit de la pensée profonde du philosophe Spinoza, autour de 1670.
La paix, non comme absence de guerre "simplement", ou comme doublon antinomique de la guerre.
La paix comme vertu interne, fondatrice de tous nos actes, de toutes nos paroles, toutes nos décisions.
La paix, en fait, comme état d'esprit, essentiellement fondé sur ces trois piliers :
une volonté de bienveillance constante, de confiance partagée, de justice vérifiable.
La paix comme tension permanente et volonté.
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