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Lettre n°104 - janv 2018
Honoré et Cabu
PEACE LINES
MESSAGERIES
DE LA PAIX
www.peacelines.org
Lettre de Liaison n°104
15 janvier 2018
En raison du regain d’intérêt et d’adhésions au travail des Messageries fin 2017, nous avons trouvé utile de répondre aux questions qui reviennent le plus chez celles et ceux qui nous ont rejoints. A tous nous adressons nos vœux pour toujours davantage de dialogue, de compréhension mutuelle.
- Israël, Palestine, c’est bien loin de nous : et la Proximité ? (Georges, de Montmirail)
- Pourquoi vous ne vous occupez pas de la misère ici, chez nous ? (Georges, id.)
- – Deux questions qui n’en font qu’une… Messagers de Paix, en fait, nous sommes une socété d’entraide, de solidarité concrète, de sauvetage, où que nous soyons, en France comme en Israël/Palestine. Notre raison d’être : venir en aide aux plus faibles, aux plus vulnérables, à celles, ceux qui se sentent abandonnés, condamnés, dans le besoin.
Pour cela nous avons créé un Compte Fontaine, du nom d’un ami démineur en Bosnie, Auguste Fontaine, d’une générosité sans précédent. Compte sur le modèle du micro-crédit sans intérêt, pour répondre aux besoins urgents de dépannage autour de nous, à hauteur de 300, 500, 750 €, bientôt de 1000. Remboursable graduellement.
Celle, celui qui se trouve pris à la gorge, le Compte Fontaine est là. Il n’est plus question de désespérer. Que cet argent serve non aux banquiers, mais à ceux qui en auront besoin !
Pour l’historique : La première institution de micro-crédit a été fondée par un entrepreneur bengali, Muhammad Yunus, en 1976. M. Yunus, né dans une famille pauvre au Bangladesh, surnommé « le banquier des pauvres », a reçu pour cela le Prix Nobel de la Paix en 2006.
Tout se tient. Notre action pour la coexistence pacifique en Israël-Palestine a reçu le soutien de 68 Prix Nobel (dont 12 Prix Nobel de la Paix). Il est logique pour nous d’appliquer autour de nous les principes qui recréent sans délais la confiance et la paix.
[Que l’on nous permette d’ajouter : la pire misère, elle ne dépend pas de ton compte en banque, de ton banquier. La vraie misère, elle se trouve dans les yeux éteints et ces masques livides, lourds sur les visages, avec lesquels tant de gens se couchent, et vivent, jour et nuit.
A contrario, « partager, c’est le geste le plus humain… la vocation de l’être humain : être utile aux autres dans notre vie tellement éphémère, insignifiante si souvent… » Yasmina Khadra, le 10 janvier 2018, jour de son anniversaire]
- « Pour moi, ça n’finira jamais ! tu verras, dans 30 ans, si on est encore là, on en sera toujours au même point ! » (Philippe, en Lorraine)
A quoi penses-tu ? As-tu oublié janvier 2015 ? Peut-être pouvais-tu nous dire ça avant. Chaque fois que je pense à Cabu, Wolinski, Honoré, ces types dont le seul crime était de dessiner des petits Mickeys délurés pour faire rire leurs lecteurs, une sainte colère me prend. Depuis quand toi et moi nous accepterions de vivre les bras, la tête baissés, et de laisser régner la terreur ? Tu crois que c’est à la Sécurité Intérieure, à la police, au RAID, au GIGN, de faire seuls le « boulot » ? Et nous, on s’en laverait les mains ? Après soi, le déluge ? Messagers de paix, nous sommes, par définition, gardiens de la paix. Au sens le plus fort. Ce qui nous différencie des policiers, c’est que nous sommes sans armes et sans uniformes, et sans salaires. Mais le but, pompiers, policiers, sauveteurs, veilleurs, est le même : restaurer, là où nous sommes, la paix : la tranquillité, la confiance.
Depuis plus de vingt ans, aux Messageries, nous luttons pied à pied là où ça brûle, au pourtour, Bosnie, Algérie, Israël, Palestine, pour que le feu ne s’étende pas, qu’il s’éteigne. Et puis, dans notre dos, les flammes nous ont rejoints. Sur notre territoire. A nos portes, et dans nos murs. Alors, il n’y a pas trente-six solutions. On continue comme avant, on va se coucher, à la bonne vôtre, ou bien on se secoue, on arrête de tourner en ronds, et on se met à protéger notre territoire, ensemble. Sans armes, et sans uniformes. Notre part à nous, c’est d’être conscients, et vigilants, ensemble. Là où nous sommes. De défendre nos libertés, coûte que coûte. Ici. Maintenant. Sans remettre, et sans se défausser sur d’autres. La solidarité, ce n’est pas dans les cimetières qu’elle se pratique. C’est bien avant.
Et si tu croyais que notre action au Proche-Orient concerne seulement des juifs et des musulmans, toi qui n’est ni l’un ni l’autre, c’est que tu nous as mal entendus, que nous nous sommes mal expliqués. Le problème n’est jamais d’un groupe isolé contre un autre, différents de nous – ce qui permettrait de s’en laver les mains : « qu’ils s’entretuent donc ! ».
Comme disait le lanceur d’alarmes John Donne, repris par Hemingway, « ne demande jamais pour qui sonne le glas, c’est pour toi qu’il sonne… ». Plus constructifs que ces deux-là, notre position c’est de nous organiser pour qu’il cesse de sonner !
Tu connais les données comme moi, mieux que moi : le nombre de personnes qui tombent comme des mouches autour de nous. Chaque semaine, tous ces morts de cancer, de tumeurs, ces suicides d’une sorte ou d’une autre. Eux aussi, ils avaient refermé les portes, et leur monde devenait de plus en plus exigü, irrespirable, saturé de leurs problèmes, de leurs radios, télés, aveugles et sourds au reste des hommes et des femmes sur la brèche. « Comment s’aimer soi-même et comment aimer les autres ? » Ils n’avaient pas eu l’occasion d’entendre la voix forte d’Elsa Cayat, assassinée avec ses amis de Charlie le 7 janvier 2015. Au début de cette Lettre, il était question du regain d’intérêt, d’adhésions à notre démarche, dans l’Est, où se trouve notre siège. Phénomène inédit en douze ans, depuis que nous sommes engagés en Israël-Palestine. C’est que les gens, ici, petit à petit se rendent compte qu’il faut bien voir les situations telles qu’elles sont : cesser de nous voiler la face, là où des minorités de femmes se la voilent au sens propre sous la pression des obscurantistes, des directeurs de conscience de tout poil. Et tu voudrais que l’on se taise, que peu à peu, insensiblement, notre société s’aligne sur celle du Pakistan, où les lois anti-blasphème ont multiplié les épées de Damoclès au-dessus de la tête de tous ceux qui ne sont pas dans le droit fil de l’orthodoxie omniprésente ?
- La coexistence, c’est bien beau, mais avec l’Islam, les Islamistes : ? (un ami de Montmirail, qui a pignon sur rue)
A Gaza, lorsque nous y avions un permis de travail, on me demandait souvent, dans des mosquées : « la France est un pays anti-musulmans, qui les opprime et les empêche de se vêtir selon leur foi, pourquoi ? ». Ma réponse n’a pas jamais varié : la France, pays de 45.000 églises*, s’est dotée de lois qui interdisent la dissimulation du visage en public, et c’est compréhensible. Seuls les malfaiteurs jusqu’ici recouvrent leur visage de masques, pour préparer un mauvais coup, ou les casseurs dans les manifestations. (*3000 temples protestants, 2200 mosquées, 500 synagogues)
En outre, la France est un pays respectueux des croyances de chacun, où se côtoient 11 millions de catholiques pratiquants (sur 42 millions), 16 millions d’agnostiques, 3 millions de musulmans, 1.700.000 protestants, 750.000 chrétiens de rites historiques (orthodoxes, arméniens, coptes, syriaques…), six cent mille bouddhistes, moins d’un demi-million de juifs, 150.000 témoins de Jéhovah, et nombre d’athées, de personnes sans religion. Les lois françaises protègent la coexistence pacifique de tous ces courants de pensée. Il ne peut être question de laisser l’un d’eux essayer de dominer les autres dans l’espace public, si peu que ce soit. En privé, chacun est bien libre de vivre comme il l’entend.
Il ne s’agit pas d’inverser les rôles…
Le visage de cette petite fille est inconnu de presque tous. Il s’agit de Miriam Monsonego. Abattue de sang froid à l’arme automatique parce qu’elle était « juive ». Avec les deux enfants Sandler et leur père. Pour la même « raison ». En France.
Imaginez un exode de 11 millions de Français, qui quitteraient leur pays sans idée de retour.
C’est ce qui arrive, depuis cinq ans (la tuerie de l’école juive de Toulouse a eu lieu en 2012), proportionnellement, avec le départ de 17% des membres de cette communauté, tombée de 550.000 en 2012 à 460.000 fin 2017.
Est-ce que l’hémorragie de la population juive de France va encore s’aggraver ?
Cela concerne-t-il « seulement » les juifs ?
Sait-on que 3.000 chrétiens ont été tués dans le monde en 2017, parce que chrétiens ? Se reporter à l’Index mondial de la persécution des chrétiens, trop peu connu : https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens/
Sinistre palmarès, entre Libye désormais réputée pays d’Afrique du Nord le plus dangereux pour les chrétiens, Iran où toute publication chrétienne est interdite, Arabie Saoudite où il n’existe pas une seule église, et Egypte où se multiplient les attentats sanglants contre les Coptes (qui représentent encore 10% de la population) ...
Question : ce genre de « célébration » se produit-il aussi chez les voisins européens, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Pologne, en Roumanie ?
Alors, quelle coexistence avec l’Islam et ses Islamistes ?
La ligne rouge, pour nous, n’est pas entre une religion et une autre, entre une croyance et une autre, mais entre ceux qui prêchent la violence, le djihad, la lutte armée, quelles qu’en soient les justifications apportées, et les autres, pour qui la vie humaine est sacrée.
Messagers de paix, quelle est notre marge de manœuvre ? Ni béni-oui-ouis, ni hurler avec les loups. Si l’état d’urgence instauré en novembre 2015 après les massacres du BaTaClan, de Paris et Saint-Denis, a pris fin le 31 octobre 2017, pour nous il demeure en conscience, pour chacun de nous.
- J’aurai des questions à vous poser quant à l’impact de votre action sur les grands décideurs, ses retombées pragmatiques pour tous ceux qu’elle vise, voire les nuances que vous y apportez pour ne pas désirer vous rattacher à d’autres grands mouvements, visant à des buts quasi-similaires (Michelle, de Château-Thierry)
Pour répondre à la double question de Michelle, si juste, ces notes retrouvées d’un carnet de voyage de 2013 en Israël-Palestine :
« Aéroport de Tel Aviv. Les Meilleurs Jours de toute Beauté fin avril – début mai 2013 : ?
Combien de Jours réellement Beaux peut-on compter en une année ? Chez le libraire, devant la Porte des Départs, j’ai décidé de commencer à noter les bénédictions « ordinaires » de chaque semaine. Une vie neuve doit se concentrer là-dessus, dans une période aussi troublée, confuse. Les Beaux Jours seront les pierres blanches sur lesquelles traverser les gués, pour passer de l’Autre Côté.
Aujourd’hui, 7 mai 2013, à Wikaï, la prison de Betunya à Ramallah, le large sourire de ce prisonnier « Hamas », lorsque je lui ai demandé comment il comparait leurs conditions de détention à ce qu’elles étaient il y a un an, avant notre campagne au Parlement Européen :
‘Là, c’est le Paradis Maintenant !’ s’est-il exclamé : ‘votre action pour obtenir la libération de prisonniers [palestiniens en secteur palestinien] et transformer les conditions de vie de ceux qui restent détenus, est efficace, et elle est efficace sans délais !’ »
Voilà des retombées pragmatiques, et la réponse à la deuxième question de Michelle : lorsque j’ai demandé aux prisonniers palestiniens (de l’Autorité Palestinienne) s’ils avaient entendu parler de visites d’Amnesty International ou de Human Rights Watch, deux institutions pourtant des plus respectables, ils ont tous répondu par la négative. Comme si le sort des prisonniers palestiniens n’importait pas en Europe, du moment qu’ils ne sont pas détenus par des Israéliens, mais par d’autres Palestiniens.
Nous faisons, modestement, le travail de terrain que les autres (mieux outillés financièrement) devraient faire, là où ils ne le font pas. Pour cela, nous sommes passés par la Commission des Droits de l’Homme du Parlement Européen, que nous connaissons au travers de notre Campagne Ouvrez les Portes auprès des « grands décideurs ». Travail de fourmis, dans ces énormes fourmilières de Strasbourg et Bruxelles, mais c’est celui que nous connaissons, et auquel nous oeuvrons, sans a priori, et sans préjugés, sans désemparer.
Georges, Nicolas, Philippe nous diront peut-être que des prisonniers palestiniens, ils s’en fichent éperdument. En quoi ils auraient tort : nous ne sommes plus au 20ème siècle ! Pour les Générations Y et Z, nées après 1975, et 1995, la transmission d’informations est instantanée, et sans frontières. Ce qui se passe à Ramallah, à Gaza, se répercute immédiatement à Saint-Denis, à la Meinau, Moelbeek… Souvent sur-amplifié par l’étouffant silence des media dominants, et cette impression croissante que la vie des hommes et des femmes d’Afrique et d’Orient importe si peu.
On compte, en France, plus de quinze cents de nos jeunes concitoyens qui ont cru au sinistre mirage de l’Etat Islamique au point de vouloir y partir, prêts à donner leur vie pour lui, et à prendre celle des autres. Cela représente 1 musulman sur 2.000 pratiquants. C’est infime, mais celui-là est entouré de dizaines qui le connaissent, et le soutiennent plus ou moins.
Si nous voulons pouvoir vivre en paix avec eux tous (et comment faire autrement ? accepter la perspective annoncée par certains d’une guerre civile ?) il est plus que temps de dénationaliser nos émotions, décloisonner nos solidarités. Quel mérite - et surtout quel intérêt réel - y a-t-il à ne regarder que les « siens » ? à se noyer dans le nombril sans fond de Sa Famille, Son-Milieu-à-Soi ?